C’est une affaire un peu terrifiante et sordide qui a connu son point final le 3 mai 2018 lorsque la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi de la société organisatrice d’une exposition pas comme les autres….
Tout avait commencé le 12 février 2009 lorsque l’exposition intitulée « Our body à corps ouvert » avait été présentée à Paris après quelques pays étrangers, puis Lyon et Marseille. Toutefois, deux associations en demandèrent l’interdiction parce qu’elles soupçonnaient un trafic de cadavres de condamnés à mort chinois…Eh oui, l’exposition avait la particularité de mettre en scène 17 cadavres plastinés, ouverts et disséqués…Un juge des référés le 21 avril 2009 leur donnèrent raison puis plus tard la Cour de Cassation avait motivé sa décision de la sorte : « l’exhibition de cadavres humains à des fins commerciales était indécente et à ce titre illégale ».
Fin du premier chapitre : l’exposition ne pouvait pas avoir lieu à Paris.
Une bataille juridique « sanglante » commençait cependant entre assurés et assureurs (il y en avait plusieurs compte-tenu de l’enjeu). La société organisatrice s’était assurée pour le risque annulation et elle a demandé l’application de la garantie. Un refus lui avait alors été opposé pour non réalisation des conditions de garantie et exclusion au contrat. L’affaire a été à nouveau portée en justice : le TGI de Paris a rejeté la demande le 12 avril 2012 pour illicéité de la cause, le 5 février 2013, la cour d’appel de Paris confirmait le jugement et la Cour de Cassation se prononçait le 29 octobre 2014 de la sorte : « le contrat d’assurance était illicite dès sa formation, donc nul ».
Fin du deuxième chapitre : L’exposition étant contraire à l’ordre public, le contrat est nul, il n’est censé n’avoir jamais existé.
Quel autre argument juridique la société organisatrice invoquait-elle pour faire valoir ses droits ?
Celui qui est utilisé par nombre d’assurés déçus de ne pas être indemnisés : la violation du devoir d’information et de conseil. Et cet argument a fait mouche : le 29 octobre 2014, la Cour de Cassation a cassé en partie l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris « en ce qu’il déboute la société organisatrice de sa demande de dommages-intérêts pour manquement des assureurs à leur devoir d’information et de conseil ».
Le troisième chapitre s’ouvre : la motivation des juges de la Cour de Cassation était la suivante : « il ne résulte pas des constatations et énonciations que les assureurs avaient attiré l’attention de la société organisatrice sur le risque d’annulation de l’exposition litigieuse ». En fait, les assureurs auraient dû la prévenir que le droit interdisait l’exposition de cadavres à des fins commerciales !
La Cour d’Appel de renvoi (Versailles) le 19 janvier 2017 décidait de limiter le préjudice réparable à la perte de chance de ne pas organiser la manifestation litigieuse. Mécontente de cette décision qui ne lui permettait pas d’être indemnisée totalement, la société organisatrice s’est pourvue de nouveau en cassation et le 3 mai 2018, enfin, voici la décision finale : « la perte de chance alléguée ne peut avoir qu’un caractère hypothétique qui n’ouvre pas droit à réparation. Rien ne permet de considérer que la société exposante aurait renoncé à poursuivre le projet si elle avait reçu le conseil qui lui a fait défaut » ; la société de plus est un professionnel de l’évènementiel (pas un profane).
EPILOGUE : 21 avril 2009/3 mai 2018 : 9 longues années pour voir mourir tout espoir de profit…Le livre se referme car la société n’a même pas pu faire valoir que c’était l’accord de principe de l’assureur qui l’avait décidée à réaliser cet investissement : l’organisation de l’exposition avait déjà été décidée et les dates de sa tenue arrêtées.
Pour conclure utilisons les termes du juge des référés de 2009 : « les cadavres avaient leur place… au cimetière ». Cela aurait évité bien des déboires !
Article écrit par NATHALIE JAUSSAUD-OBITZ, RESPONSABLE PÉDAGOGIQUE à L'IFPASS
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